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Lettre d’amour à l’architecture

« Car rien n’est plus haïssable que l’architecture prétexte, que ces sombres mariages d’intérêt qui se combinent dans les antichambres des puissances.

Il leur faut bien haïr ceux qui n’aiment en l’architecture que le levier du pouvoir, ceux qui ne s’intéressent qu’à la dimension sociale qu’elle peut leur apporter.

Triste monde, pauvre univers, sans dimension tragique, totalement pavé de mesquines ambitions.

Triste monde qui, sous sa coquetterie architecturale, croit en l’apparat au point de bannir l’idée de la mort comme celle de la pérennité.

A l’architecture, il est interdit de durer.

A l’architecte, il est interdit d’aimer.

Or l’amour se gorge d’émotion.

Et l’émotion est nécessaire à l’architecture.

Les émotions mènent la passion.

Et la passion est nécessaire à l’architecture. Elle cultive l’exigence.

Sans amour, sans émotion, sans exigence il ne reste plus qu’à l’architecte à répondre au jour le jour aux besoins de l’homme.

Mais qu’existe-t-il de plus sinistre que de résoudre au jour le jour les problèmes de la vie.

La passion projette sur l’avenir de l’amour.

L’architecte projette sur le vécu.

Sans passion point de projet.

Et sans projet pas d’architecture.

Le pire serait la neutralité.

En architecture la neutralité est l’antichambre de la mort ; de la mort lente, sans signification, celle de l’oubli, de l’oubli de soi et des autres.

Alors mieux vaut l’obstacle, le mur, le refus. Car l’amour contrarié, trouve refuge dans la passion exacerbée, et la passion exacerbée engendre la haine.

En architecture, mieux vaut la haine que l’indifférence, mieux vaut haïr que se soumettre.

Pour l’architecte, amour et haine sont deux vertis complémentaires.

Pour faire de l’architecture, il faut les cultiver jusqu’à la paranoïa. »

 

Extrait de Lettre d’amour à Frank Lloyd Wright par Claude Parent.

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